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Offrir réparation à Dieu : l’amour du Cœur de Jésus et la guérison des cœurs au Rwanda après le génocide

À la lumière de l’encyclique Dilexit nos et de la pastorale de l’Archidiocèse de Kigali

Cet article explore le travail pastoral de guérison entrepris dans l’Archidiocèse de Kigali, dans la lumière de l’encyclique  « Dilexit nos » du pape François. Dans le contexte post-génocide du Rwanda, il cherche à montrer comment la spiritualité de la réparation, centrée sur l’amour du Cœur de Jésus, est devenue un chemin de réconciliation et de reconstruction spirituelle pour les fidèles.

Introduction

Le Rwanda, terre des Mille Collines, porte encore les stigmates du génocide perpétré contre les Tutsi en 1994. Plus d’un million de vies anéanties, une société déchirée, une foi blessée. Au cœur de cette tragédie, une question profonde surgit : comment réparer le mal commis, non seulement entre les hommes, mais aussi dans la relation de l’humanité avec Dieu ? L’expérience du génocide n’a pas seulement détruit des vies humaines ; elle a également offensé Dieu, puisque toute atteinte à la dignité humaine touche le cœur même du Créateur.

Dans ce contexte dramatique, l’Église catholique, et en particulier l’Archidiocèse de Kigali, s’est engagée dans une œuvre de guérison des cœurs, de réconciliation et de restauration. Cette pastorale trouve aujourd’hui une lumière nouvelle dans l’encyclique Dilexit nos du pape François, qui affirme avec force : « Dieu nous a aimés le premier » (1 Jn 4,19 ; Dilexit nos, §1). Cette vérité essentielle oriente toute réflexion sur la réparation spirituelle : elle n’est pas d’abord un effort humain de compensation, mais une réponse d’amour à un amour qui nous précède et nous relève.

La réparation à Dieu devient alors un chemin de transformation intérieure, de restauration de la communion brisée et de participation à l’œuvre rédemptrice du Christ. À travers l’adoration, la pénitence, le pardon et l’engagement pour la justice, les fidèles sont appelés à réparer non seulement les offenses passées, mais aussi à construire une société nouvelle, réconciliée avec Dieu et entre elle. Le présent article se propose d’explorer cette dynamique de guérison spirituelle à la lumière de Dilexit nos, en mettant en valeur le travail pastoral exemplaire accompli dans l’Archidiocèse de Kigali, où le Cœur transpercé du Christ devient source de miséricorde, de paix et de résurrection.

La réparation à Dieu : une réponse d’amour au mal

L’encyclique Dilexit nos (“Il nous a aimés”) du pape François, bien qu’encore récente et centrée sur l’amour rédempteur du Christ pour l’humanité blessée, offre une base riche pour développer le thème de la réparation à Dieu comme une réponse d’amour au mal.

L’encyclique commence en rappelant que « Dieu nous a aimés le premier » (Dilexit nos, §1), soulignant la primauté de l’amour divin. Cet amour est à l’origine de toute réalité et précède nos réponses humaines. Ainsi, la réparation à Dieu ne peut se comprendre que dans le contexte de cet amour premier : ce n’est pas un simple devoir, mais une réponse d’amour à l’amour qui nous précède et nous fonde.

Le mal, selon Dilexit nos, n’est pas seulement une infraction à une loi divine, mais une rupture de la relation d’amour. Le péché blesse le cœur de Dieu et défigure l’humanité. La réparation n’est pas un paiement ou une simple expiation, mais un acte d’amour qui cherche à restaurer cette relation. Le pape François insiste sur la guérison des cœurs blessés, et rappelle que le Christ lui-même a porté cette blessure pour nous réconcilier avec le Père. Le pape François souligne que : « Le péché n’est pas seulement une infraction à une loi, mais une blessure à la communion d’amour avec Dieu et avec les autres » (Dilexit nos, §12).Le mal rompt cette communion et engendre la souffrance. Réparer signifie alors « travailler à restaurer cette communion », non pas en cherchant à « compenser » par nos propres forces, mais en accueillant l’amour guérissant du Christ. Le Saint Père le dit en ces termes : « Le Christ est venu réparer le mal, non par la force, mais par l’amour qui se donne jusqu’au bout » (Dilexit nos, §15).

La réparation est prise comme une réponse d’amour. Réparer, dans cette perspective, c’est se laisser transformer par l’amour du Christ et répondre en aimant davantage. Cette réponse prend la forme de la conversion personnelle, du pardon, et de la participation à l’œuvre de réconciliation du monde. L’encyclique souligne que le mal n’a pas le dernier mot, et que la grâce surabonde là où le péché a abondé (Dilexit nos, §25).

Le Pape François élargit la réparation au-delà de l’individuel : « L’Église, corps du Christ, est appelée à être signe et instrument de réconciliation. Là où les blessures sont profondes, elle est appelée à panser, à consoler et à relever » (Dilexit nos, §28). Dilexit nos rappelle ainsi la dimension communautaire de la réparation. L’Église, corps du Christ, est appelée à devenir un signe visible de la réconciliation. Les blessures du monde (guerres, divisions, pauvreté, indifférence) appellent des réponses concrètes de justice, de miséricorde et d’amour. Réparer, c’est aussi s’engager à reconstruire des ponts, à œuvrer pour la paix et à relever les exclus. Cette dimension communautaire implique aussi une justice active : « Réparer, c’est aussi s’engager pour la justice, tendre la main aux exclus, œuvrer pour la paix » (Dilexit nos, §31).

L’encyclique invite à regarder l’Eucharistie comme le sommet de la réparation : le Christ se donne en sacrifice d’amour pour réparer la relation rompue. Recevoir l’Eucharistie, c’est accueillir cet amour réparateur et se laisser transformer pour devenir soi-même artisan de paix et de réconciliation. De plus, Dilexit nos souligne la figure de Marie, Mère de l’Église et modèle parfait de la réponse d’amour. Sa disponibilité totale à l’action de Dieu la rend participante de la réparation du mal par son « fiat ».

En définitive, la réparation à Dieu selon Dilexit nos n’est pas un acte isolé, mais un chemin de conversion intérieure et communautaire, une réponse d’amour au mal qui blesse le cœur de Dieu et l’humanité. C’est une manière de dire « oui » à l’amour premier du Père, en s’unissant au Christ rédempteur, et en se laissant guider par l’Esprit pour participer à l’œuvre de réconciliation du monde.

Le Cœur de Jésus, source d’amour qui guérit

Dans la tradition catholique, la dévotion au Cœur Sacré de Jésus exprime la contemplation de l’amour infini de Dieu manifesté dans le Christ, surtout dans sa Passion. Cet amour blessé par le péché du monde ne répond pas par la colère, mais par une offrande de miséricorde. L’amour réparateur constitue alors le cœur même de cette spiritualité : réparer les offenses faites à Dieu par l’adoration, la prière, la pénitence, et surtout par l’amour.

Au Rwanda, un pays qui a traversé les ténèbres du génocide contre les Tutsi en 1994, cette spiritualité prend une dimension incarnée : réparer l’amour blessé de Dieu à travers la restauration de la dignité humaine, le pardon, la réconciliation et la construction d’un avenir de paix. L’Église catholique, par la promotion de la spiritualité du Cœur de Jésus, contribue puissamment à ce chemin de guérison.

Le Cœur de Jésus est transpercé, symbole d’un amour qui souffre mais ne renonce jamais. Le Rwanda aussi a connu le transpercement : haine, trahisons, violences, meurtres massifs. Le mal commis par des hommes contre d’autres hommes a profondément blessé l’humanité, mais aussi offensé Dieu, car en chaque victime se reflète le visage du Christ souffrant (cf. Mt 25,40).

Dans cette perspective, réparer signifie : reconnaître le péché (individuel et collectif), demander pardon à Dieu et aux autres, s’engager dans la guérison des relations humaines, offrir sa vie, comme le Christ, pour la paix du monde.

La spiritualité du Cœur de Jésus invite les fidèles à devenir eux-mêmes des instruments d’amour réparateur. Dans l’Archidiocèse de Kigali, cette spiritualité a nourri des parcours de conversion profonde et de réconciliation. On peut relever plusieurs dimensions concrètes : dans plusieurs paroisses, les groupes de l’Apostolat du Sacré-Cœur se réunissent pour l’adoration réparatrice, surtout les premiers vendredis du mois. Ils présentent au Seigneur les péchés du peuple, les blessures de la société, les offenses à la dignité humaine. Ces prières sont des « ponts » entre la douleur et la miséricorde divine ; les chrétiens rwandais  compris que le Cœur du Christ est un lieu de refuge et de consolation pour les blessés. Dans les centres pastoraux (Communauté de l’Emmanuel, Centre Christus, Foyer de charité, Centre spirituel de Kabuga, Umusozi w’Ishya n’ihirwe Jali)  les groupes de soutien psycho spirituel, les liturgies pénitentielles, on encourage les personnes traumatisées à se tourner vers le Cœur de Jésus, à déposer en Lui leur souffrance, leur colère, leurs larmes. Ce chemin intérieur permet souvent de retrouver une paix profonde, de renaître spirituellement, et même de pardonner l’impardonnable.

De nombreux témoignages montrent comment cette spiritualité porte du fruit : un bon nombre de personnes rescapées du génocide, ayant perdu femme, mari et enfants, ont témoigné avoir trouvé la force de pardonner grâce à l’adoration eucharistique et à la prière au Cœur de Jésus ; des prisonniers repentis, après avoir suivi une formation spirituelle centrée sur la miséricorde divine, ont écrit à leurs victimes pour demander pardon, certains allant jusqu’à collaborer à des projets communs avec les familles endeuillées. Ces gestes ne sont pas que psychologiques ou humanistes : ils sont le fruit d’un amour réparateur qui s’enracine dans le Christ.

Dans une société meurtrie, l’amour réparateur du Cœur de Jésus ne se limite pas à une piété individuelle, mais devient un levier puissant de transformation sociale et spirituelle. L’Église catholique dans l’Archidiocèse de Kigali, en s’enracinant dans cette spiritualité, devient ce que le pape François appelle une Église « avec les cœurs brûlants et les pieds en marche » (cf. Dilexit nos), une Église qui console, guérit et réconcilie à l’image du Christ au Cœur transpercé.

 La blessure du péché collectif : le génocide des Tutsi

Le génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en 1994 a été un péché collectif aux dimensions effrayantes. Il est l’une des blessures les plus profondes et les plus dévastatrices de l’histoire humaine récente. Il a non seulement anéanti plus d’un million de vies, mais il a aussi laissé une trace indélébile dans les cœurs, les familles et les institutions, y compris l’Église. Cette tragédie n’est pas seulement le fruit de fautes individuelles, mais s’inscrit dans la dynamique du péché collectif, une réalité spirituelle et morale que l’Évangile et la tradition catholique aident à comprendre et à dépasser.

L’Évangile nous enseigne que le mal n’est pas uniquement le résultat des actes individuels. Il existe des structures de péché (Jean-Paul II, Sollicitudo rei socialis), des dynamiques collectives où des sociétés entières deviennent complices du mal par leur silence, leur indifférence ou leur participation active.

Jésus, en s’incarnant, a pris sur lui non seulement les péchés personnels mais aussi le poids du mal collectif. Sur la Croix, il a porté les violences et les injustices de l’humanité (Isaïe 53). Le cri de Jésus – « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Luc 23,34) – nous invite à reconnaître la profondeur du mal collectif et à répondre par le pardon et la réconciliation.

Après sa Résurrection, Jésus apparaît à ses disciples et leur confie le ministère du pardon: « Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis » (Jean 20,22-23). Ce pardon n’est pas un oubli, mais une invitation à reconnaître le mal, à demander justice et à s’engager sur le chemin de la vérité et de la réparation.

Le génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en 1994 est un péché collectif, car il a impliqué non seulement les auteurs directs, mais aussi des institutions, des voisins, des communautés entières qui ont été gagnés par l’idéologie de haine.
Certaines autorités, y compris des responsables religieux, ont été complices par action ou par omission. Le silence d’une partie de la communauté chrétienne et l’instrumentalisation de l’ethnie par certains membres de la communauté ont aggravé la blessure.
L’Église catholique au Rwanda a vu nombre de ses fidèles, religieux et prêtres, devenir martyrs en refusant de collaborer avec l’idéologie génocidaire. Cependant, elle a aussi été confrontée à sa propre fragilité : des lieux saints ont été profanés, des prêtres et des religieux ont failli à leur mission.

L’Église catholique du Rwanda a entamé un chemin de conversion, de reconnaissance de sa responsabilité et d’engagement dans la guérison des cœurs. En 2000, lors du Grand Jubilé, les évêques du Rwanda ont reconnu publiquement que « certains de leurs membres » ont « trahi leur mission ». Cette reconnaissance du péché collectif est un pas vers la guérison.
Ainsi, l’Église participe activement aux programmes de justice réparatrice (Gacaca), aux initiatives de réconciliation, aux processus de mémoire et de commémoration. Elle offre un accompagnement pastoral et spirituel aux victimes comme aux bourreaux repentants. Et tout cela sous la lumière de l’Evangile. La lecture de l’Évangile montre que le pardon ne nie pas la justice, mais qu’il permet de briser le cycle de la haine. C’est pour cela que l’Église invite à un chemin de conversion personnelle et communautaire, à la prière pour la guérison, à la solidarité avec les victimes et à l’édification d’une société juste et pacifique.

Vers une espérance renouvelée : l’Église, artisan de paix

Grâce au travail pastoral de l’Eglise catholique, en collaboration avec d’autres intervenant, artisan de paix, la communauté avance vers une espérance renouvelée. La blessure du péché collectif peut devenir une source de résurrection, à l’image du Christ ressuscité qui transforme la mort en vie.

De nombreuses communautés rwandaises, inspirées par l’Évangile, témoignent de réconciliations vraies et profondes entre victimes et bourreaux. Par la catéchèse, la formation à la justice sociale, le soutien aux plus fragiles, l’Église contribue à réparer le tissu social et à construire une culture de paix. L’Eglise est appelée à être prophétique, à dénoncer les injustices, à accompagner les blessés, et à éduquer les nouvelles générations à la fraternité et à la paix.

Bref, la blessure du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en 1994 est une blessure collective qui touche tout le peuple rwandais et l’Église. À la lumière de l’Évangile, cette blessure peut devenir un chemin vers la réconciliation et la résurrection. L’Église catholique dans l’Archidiocèse de Kigali  est appelée à se convertir, à accompagner, à guérir et à annoncer l’espérance du Christ ressuscité, artisan d’une paix durable.

Le pardon et la réconciliation : un long chemin de conversion

Le génocide perpétré contre les Tutsi en 1994 au Rwanda a ébranlé les fondements humains, sociaux et spirituels de la nation. L’Église catholique, acteur majeur dans le tissu social rwandais, n’a pas été épargnée par cette tragédie. Certaines de ses institutions et de ses membres ont été directement impliqués dans la violence, tandis que d’autres ont courageusement protégé les victimes. Dans ce contexte, le chemin vers le pardon et la réconciliation s’est imposé à l’Église comme une nécessité spirituelle et pastorale, mais aussi comme un long processus de conversion.

L’Église catholique au Rwanda a dû faire face à une douloureuse réalité : certains prêtres, religieux et fidèles ont été accusés de participation ou de complicité dans les massacres. D’autres, par peur, par idéologie ou par faiblesse, n’ont pas su élever la voix pour condamner l’injustice. Cette crise a révélé une profonde nécessité de conversion : reconnaître les fautes, demander pardon à Dieu et aux victimes, et reconstruire une Église fidèle à l’Évangile.

En 2000, dans la lettre pastorale “Nous avons péché et demandé pardon”, les évêques du Rwanda ont publiquement reconnu les manquements de certains membres de l’Église, appelant à la repentance et à la réconciliation. Cet acte courageux a été une étape significative mais insuffisante sur le long chemin de conversion.

Dans l’Église catholique, le pardon est au cœur du message chrétien. Jésus, sur la Croix, a prié : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34). Le pardon ne minimise pas le crime, mais ouvre un chemin de guérison intérieure et de libération.

Au Rwanda, le pardon a été particulièrement difficile : comment pardonner l’inimaginable ? Pourtant, de nombreux rescapés, accompagnés spirituellement par des prêtres, des religieuses, des communautés ecclésiales de base, ont trouvé dans la foi la force de pardonner. Des programmes pastoraux exécutés par la Commission Diocésaine Justice et Paix pour la réconciliation, et des initiatives comme les sessions et retraite sur la réconciliation ont permis de créer des espaces où victimes et bourreaux peuvent se rencontrer, dialoguer, et parfois, se réconcilier.

La réconciliation ne se réduit pas à une déclaration ou à une cérémonie ; elle est un processus exigeant qui suppose vérité, justice et mémoire. L’Archidiocèse de Kigali a engagé divers processus dont les suivants : messes et prières de réconciliation, où les communautés prient pour les victimes et les bourreaux ; formations et séminaires sur la justice réparatrice et le pardon, destinés aux agents pastoraux ; appui spirituel et psychosocial aux victimes du génocide, notamment les veuves, orphelins et survivants ; accompagnement pastoral des personnes incarcérées pour leur permettre de demander pardon et de se réinsérer.

Cette réconciliation a nécessité et nécessite encore une conversion du cœur : reconnaître la dignité de l’autre, même lorsqu’il est bourreau ; accepter la vérité du passé sans la nier ni la relativiser ; et s’engager à bâtir une société renouvelée.

Les défis actuels en rapport avec la pastorale de réconciliation ne manquent pas. Trente et un ans après le génocide, le Rwanda continue de porter les blessures de cette tragédie. L’Église catholique reste appelée à : soutenir une mémoire juste, qui honore les victimes et évite le révisionnisme ; promouvoir la justice et la vérité, condition sine qua non d’une réconciliation authentique ; former les jeunes générations à la paix, à la tolérance et au respect de la dignité humaine ; vivre la conversion pastorale, en renouvelant ses structures et en promouvant une Église humble, servante et prophétique.

L’Archidiocèse de Kigali, malgré ses failles, est également porteuse d’espérance. Elle témoigne, par ses efforts de pardon et de réconciliation, que le mal n’a pas le dernier mot. Le chemin est long et semé d’embûches, mais il est éclairé par la lumière du Christ ressuscité, qui est la Paix et la Réconciliation incarnées. Dans l’Archidiocèse de Kigali, plusieurs initiatives pastorales et témoignages ont incarné concrètement le chemin du pardon et de la réconciliation. En voici quelques exemples :

  1. a) Les Communautés Ecclésiales de Base (CEB) comme lieux de réconciliation

Dans certaines paroisses, les Communautés Ecclésiales de Base ont servi de plateformes où victimes et bourreaux ont pu se rencontrer sous le regard de Dieu. Après un travail préalable d’écoute et d’accompagnement spirituel, certains survivants ont accepté d’accueillir dans leur communauté des personnes qui avaient participé aux crimes, mais qui manifestaient un repentir sincère.
b) Les messes de réconciliation et de mémoire dans les paroisses

Chaque année, à l’occasion de la Commémoration du génocide, l’Archidiocèse de Kigali organise des messes spéciales où les survivants du Génocides, les familles des victimes, mais aussi des anciens bourreaux se rassemblent. Dans certaines paroisses, la messe commémorative s’achève par une marche symbolique vers un site mémorial, où tous déposent des fleurs et/ou des bougies lumière de l’espoir en l’honneur des victimes.

  1. c) Les ateliers pour les jeunes sur le pardon et la paix

Dans certaines écoles catholiques de l’Archidiocèse de Kigali, des ateliers (et retraites) sont régulièrement organisés sur le thème du pardon et la réconciliation. De jeunes rescapés et des enfants d’anciens bourreaux sont invités à dialoguer, à écouter le récit de l’autre, et à participer à des activités symboliques comme planter des arbres de la paix ou réaliser des fresques murales sur le thème de la réconciliation.

La pastorale de la guérison des cœurs

Le génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en 1994 a laissé des séquelles profondes, notamment la perte de confiance, les traumatismes psychologiques et la fragmentation sociale. Dans ce contexte, l’Église catholique a été interpellée pour jouer un rôle crucial dans la réconciliation et la reconstruction morale du pays. Inspirée par la mission du Christ, la pastorale de la guérison des cœurs dans l’Archidiocèse de Kigali a émergé comme une réponse ecclésiale aux besoins spirituels et psychologiques des fidèles.

Il existe des fondements théologiques et spirituels de la pastorale des guérisons. La pastorale de la guérison des cœurs s’appuie sur des fondements bibliques et doctrinaux. Elle puise ses racines dans l’appel évangélique au pardon (Mt 18,21-35), à la miséricorde (Mt 5,7) et à l’amour inconditionnel (Jn 13,34). L’Eucharistie est considérée comme un sacrement de communion et de réconciliation, rassemblant autour du Christ des cœurs meurtris et divisés. Le sacrement de la réconciliation permet de recevoir le pardon de Dieu et d’être réconcilié avec l’Église et la communauté. Cette pastorale s’inspire également de l’enseignement social de l’Église, qui insiste sur la dignité humaine, la justice et la paix sociale.

L’Archidiocèse de Kigali a mis en place plusieurs initiatives concrètes pour accompagner le processus de guérison et de réconciliation. Parmi celles-ci, on peut citer :

l’écoute et l’accompagnement spirituel : on a mis en place des structures d’accueil et d’écoute pour les victimes et les repentis, animées par des prêtres, des religieux, des laïcs formés à l’accompagnement des traumatismes.

Les retraites spirituelles et séminaires de guérison : organisation d’espaces de réflexion et de prière centrés sur le pardon, la miséricorde et la réconciliation, souvent accompagnés d’ateliers psycho spirituels.

Les liturgies communautaires de réconciliation : célébrations pénitentielles, marches du pardon, gestes symboliques de réconciliation (plantation d’arbres de paix).

Les témoignages de réconciliation : mise en lumière de récits de victimes ayant pardonné à leurs bourreaux, diffusés dans les paroisses et lors d’événements publics surtout lors des événements de commémoration du Génocide perpétré contre les Tutsi en 1994.

La formation et la sensibilisation : programmes éducatifs destinés aux prêtres, aux catéchistes et aux jeunes, pour promouvoir la culture de paix, la justice réparatrice et les valeurs chrétiennes de réconciliation.

Cependant, malgré ces efforts, la pastorale de la guérison des cœurs rencontre des défis importants  à savoir : la profondeur des blessures  où certains fidèles restent marqués par des traumatismes indicibles et peinent à s’ouvrir au pardon ; les tensions communautaires persistantes dans certains milieux : la méfiance entre victimes et bourreaux ou leurs descendants reste une réalité ; la nécessité d’une pastorale intégrée : il est crucial d’associer la dimension spirituelle à l’accompagnement psychologique et social, afin d’assurer une véritable reconstruction des cœurs et des communautés.

Les perspectives consistent à renforcer l’implication des laïcs, à promouvoir les initiatives œcuméniques et interreligieuses, et à poursuivre l’éducation à la paix et à la réconciliation, notamment auprès des jeunes générations.

Conclusion

La pastorale de la guérison des cœurs, telle qu’elle se déploie dans l’Archidiocèse de Kigali, est bien plus qu’une réponse humaine aux blessures du passé. Elle est une participation concrète à la mission réparatrice du Christ, dont le Cœur transpercé continue de battre pour une humanité blessée. Elle montre que, même après une tragédie aussi abyssale que le génocide perpétré contre les Tutsi, l’amour peut ressusciter les cendres, restaurer les relations, guérir les cœurs, et ouvrir des chemins d’espérance.

À la lumière de l’encyclique Dilexit nos, il devient évident que la réparation à Dieu n’est pas une simple pratique de piété, mais une exigence évangélique, un appel à la conversion profonde, personnelle et communautaire. Elle engage toute l’Église – prêtres, religieux, laïcs – à devenir des instruments de paix, de miséricorde et de réconciliation. Dans cette dynamique, le Cœur de Jésus devient le lieu où se rencontrent la douleur humaine et la miséricorde divine, le point de départ d’un renouveau spirituel.

Les initiatives pastorales évoquées dans cet article – communautés ecclésiales de base, liturgies de réconciliation, retraites spirituelles, accompagnement des victimes et des bourreaux repentis – témoignent de la vitalité de l’Église catholique au Rwanda, qui assume humblement ses responsabilités, tout en annonçant avec courage la victoire du Christ sur le péché et la mort. Ce travail ne fait que commencer : il nécessite persévérance, discernement et prière, mais il porte déjà des fruits visibles de paix, de fraternité retrouvée et de foi renouvelée.

L’Église, comme corps du Christ vivant, ne peut être indifférente aux blessures de ses membres. Elle est appelée à être cette « maison de miséricorde » dont parle le pape François, un lieu où les cœurs brisés trouvent refuge, où la vérité est dite avec amour, où le pardon devient possible, et où une société nouvelle peut naître à la lumière de l’Évangile.

En définitive, l’Archidiocèse de Kigali, en s’enracinant dans la spiritualité du Cœur de Jésus et en incarnant les enseignements de Dilexit nos, se présente comme un témoin prophétique d’une Église en marche vers la résurrection, une Église qui croit que, par la grâce, le mal peut être transformé, les cendres devenir fécondes, et l’amour triompher de la haine.

Bibliographie indicative

Documents du Magistère :

Jean-Paul II, Reconciliatio et paenitentia, Exhortation apostolique post-synodale sur la réconciliation et la pénitence dans la mission de l’Église aujourd’hui, Rome, 2 décembre 1984.

Pape François, Dilexit Nos, Bulle d’indiction du Jubilé 2025, Rome, 2024.

Jean-Paul II, Sollicitudo rei socialis, Lettre encyclique sur la sollicitude pour le développement humain intégral, Rome, 1987.

Conférence Episcopale du Rwanda, Lettres pastorales, 1995–2020.

Documents et rapports ecclésiaux :

Commission Justice et Paix, Archidiocèse de Kigali, Documents internes et rapports d’activités sur la réconciliation pastorale, communication interne, 2005–2023.

Église catholique du Rwanda, Nous avons péché et demandé pardon – Lettre pastorale des évêques du Rwanda, Année jubilaire 2000.

Ouvrages académiques et spécialisés :

Des Forges, Alison, Leave None to Tell the Story: Genocide in Rwanda, New York, Human Rights Watch, 1999.

Longman, Timothy, Christianity and Genocide in Rwanda, Cambridge, Cambridge University Press, 2010.

Ganza, Jean-Baptiste, Mémoire et réconciliation au Rwanda : Enjeux théologiques et pastoraux, Paris, L’Harmattan, 2015.

Sources bibliques :

La Bible de Jérusalem, Paris, Éditions du Cerf, 1998.

“Cet article a été rédigé par l’abbé Donatien Twizeyumuremyi, Directeur de Caritas Kigali et de la Commission Justice et Paix de l’Archidiocèse de Kigali”.

 

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